Rencontre avec Sarah De Boeck, chercheuse à Cosmopolis, VUB. Ses recherches portent sur la mixité des fonctions à Bruxelles : le résidentiel, les services publics et les activités productives, en particulier celles qui génèrent de l’emploi pour les moins diplômés. Elle estime que « cette mixité est une bonne chose : par exemple, si les travailleurs habitent à proximité de leur travail, ils vont accorder plus d’attention à la qualité de leur environnement direct. »
La ZEMU favorise le logement
Comme le rappelle S. De Boeck, « les promoteurs immobiliers préfèrent construire des résidences et des surfaces commerciales car le profit au mètre carré est bien plus élevé. La construction d’un bâtiment industriel occasionne des surcoûts : les planchers doivent, par exemple, être renforcés pour soutenir le poids d’une machinerie ». Dans les terrains qui bordent le canal, « la Région entend répondre à deux problèmes à la fois. D’une part, construire de nombreux logements pour répondre à la croissance démographique et d’autre part créer de l’emploi pour diminuer le chômage, qui atteint-là des taux énormes. »
Pour répondre à ces défis, la Région a modifié le plan d’affectation du sol et y a instauré en décembre 2014 des ZEMU – Zones d’Entreprises en Milieu Urbain – qui permettent désormais au logement de cohabiter avec les entreprises. Ce plan a eu des effets sur la spéculation : « Prenons le cas de Biestebroek. Au départ, c’était une zone monofonctionnelle, réservée à l’industrie. Sachant qu’elle allait tôt ou tard passer en ZEMU, des investisseurs, comme Atenor, y ont acheté d’énormes terrains espérant y construire du logement. »
La ZEUS favorise l’entreprise
Toutefois, la Région entendait aussi réagir au déficit de l’emploi et à l’augmentation de la pauvreté, « c’est pourquoi, elle a initié un autre plan qui vient se superposer à la ZEMU : la Zone d’Économie Urbaine Stimulée (ZEUS). » Sur le principe de la zone franche, la ZEUS veut attirer des entreprises avec des incitants fiscaux, à condition, par exemple, qu’ils engagent au minimum 20 % d’habitants pour stimuler l’emploi local. Mais, avec l’arrivée du dispositif ZEMU, le prix des terrains avait déjà considérablement augmenté. « Or, une entreprise productive a besoin de grands espaces et de grands bâtiments pour loger ses activités. L’augmentation du prix des terrains les empêchent donc de s’y installer. Il y a donc un conflit entre ZEUS et ZEMU ».
Des outils pour contrôler la valeur des terrains
En partenariat avec plusieurs universités, S. De Boek mène une étude sur les mécanismes de contrôle de la spéculation, à savoir la fluctuation de la valeur des sols, pour permettre aux entreprises productives de rester à Bruxelles. « Le bail emphytéotique existe déjà, Abattoir en bénéficie ». D’autres outils sont imaginables. Le gouvernement pourrait instaurer un système d’échange : un terrain industriel du canal contre un autre dans un quartier plus résidentiel, avec un calcul précis pour en déterminer la valeur d’échange (accessibilité, services collectifs et récréatifs, etc.)
La chercheuse s’intéresse aussi au quartier Heyvaert et juge son avenir incertain : « si le commerce de voitures d’occasion déménage, des milliers de mètres carrés seront alors disponibles. Aujourd’hui, personne ne sait si ces gros commerçants vont quitter le quartier ». La Région leur propose de s’installer à la périphérie, à Schaerbeek Formation. « Rester, pour ces négociants, c’est aussi une forme de spéculation. Plus longtemps ils restent, plus la valeur de leur terrain augmente, car autour du canal, elle augmente de toute part. J’ai bien peur que sans contrôle régional de la valeur du foncier, la mixité de fonction et la mixité sociale vont disparaître et que ce quartier devienne un paradis de lofts. Et par ailleurs, sans alternative logement, où les habitants actuels vont-ils s’installer ? Dans des caravanes dans les champs autour de Bruxelles ? »