1983 : la reprise des abattoirs

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Abattoirs privés en 1890, communaux dès 1920 et en faillite en 1982. L’histoire des abattoirs d’Anderlecht aurait pu tenir en trois dates s’ils n’avaient pas été repris par cent-cinquante personnes, toutes actives professionnellement dans le quartier de Cureghem. Rencontre avec Carlos Blancke, un des « tireurs de charrette » ! 

Dans les années quatre-vingt, de nombreuses communes ferment ou revendent leurs abattoirs en raison essentiellement, des coûts nécessaires à leurs mises aux normes européennes. Ainsi en 1986, la Belgique comptait encore 66 abattoirs publics dont 29 en Wallonie pour 4 aujourd’hui et à notre connaissance, aucun en Flandre (Aubel, Gedinne, Arth et Virton) (1)  

Carlos Blancke (1928-2016) fut une  » tireur de charrette » de la reprise. Lui et une grosse dizaine d’autres  » personnes fort intéressées à la continuation de l’abattoir  » se sont constituées en société anonyme et ont incité d’autres actionnaires, surtout issus du quartier, à les rejoindre.

Forum Abattoir a rencontré Carlos quelques mois avant son décès en 2016, accompagné de ses enfants Mieke et Luc Blancke, également très actifs à l’époque. Retour sur un petit bout de la longue histoire de l’abattoir :

Cataline Sénéchal – Forum Abattoir  : En 82, la commune annonce la fermeture de l’abattoir. Pourquoi tant de gens se sont rassemblés pour le reprendre? 

Il s’agissait de leur gagne-pain. Plus cinq ou six cent  personnes y travaillaient. Pour la plupart, la fermeture de l’abattoir aurait été un handicap. Nous avons pris les chiffres du dernier bilan de l’abattoir communal. Il perdait cent millions par an. Ce n’était pas possible pour eux de continuer ainsi. Et cela ne faisait qu’augmenter. Je suis alors allé voir le bourgmestre, Simonet, le père,  pour lui proposer une reprise. Il m’a répondu « Bien oui, pourquoi pas ». La commune avait déjà cherché à privatiser mais elle n’était pas raisonnable dans le prix demandé! Elle demandait beaucoup trop d’argent pour une firme qui était en perte chaque année. Avec moi, il y avait M. Geeroms, M. Cornélis, Mme de Cooman, – nous étions une bonne dizaine de gens forts intéressés à la continuation de l’abattoir. Tout ça a marché parfaitement bien parce que « les importants de l’abattoir – comme Henri Geeroms et Arnold Cornelis, tout deux malheureusement morts maintenant, tout ces gens avaient un impact certain sur beaucoup de commerçants. Geeroms achetait  les peaux et Cornelis, les carcasses.

Mieke Blancke (Mieke) : Il y avait aussi Emile Verhasselt ! Pour le gros bétail.

Il habitait à Anderlecht? 

Luc Blancke : Non, Koelkelberg. 

Mieke: Cornélis, lui habitait à Anderlecht. 

Et vous vous connaissiez avant? 

Carlos : Nous nous connaissions tous, mais de loin. Cornélis était abatteur de porc. Geeroms avait un commerce de peau, il rachetait les peaux et les traitait, avec du sel. Il était dans le comité de direction, chaque fois qu’il rentrait, il disait « Arff, j’ai de nouveau une histoire, vous voulez que je la raconte. Et, il avait, souvent, une bonne histoire. Son fils a continué, puis, il a remis l’affaire à ses deux fils. Oui, il y a avait aussi, Paul Wijnans, c’était un homme dynamique. 

Mieke : Il est devenu responsable du marché par après. 

Du marché généraliste? 

Luc: Des deux, le marché généraliste et le marché aux bestiaux. 

Mieke: Il a fermé sa boucherie pour s’en occuper.

Carlos :  Il y avait aussi Hyllebroeck, qui était échevin des abattoirs. Il était aussi enchanté de voir, peut être, une solution. Lui, il a surtout insisté pour que la somme demandée par la commune soit un peu plus raisonnable. 

Il a facilité la reprise?

Carlos : Oui, sans lui, cela n’aurait pas été possible. Il y avait en tout cinq cent personnes intéressées par la reprise. Nous avons tenté d’obtenir des sous et ça a marché ! Surtout parce que un capital relativement bon marché.  Mais, la plupart n’aurait jamais donné 500.000 francs comme ça. En grande partie parce qu’ils ne connaissaient pas tout le monde et qu’ils ne savaient pas forcément qu’il y avait des gens sérieux parmi nous! Ils ont commencé par donner 100.000 puis, au bout de quelques mois, une seconde tranche et ainsi de suite jusqu’à atteindre les 500.000…. et d’obtenir ainsi un certain capital nécessaire au fonctionnement de l’abattoir. 

C’était pour permettre aux petits commerçants d’y entrer? 

Carlos : De continuer à travailler. L’abattoir avait perdu son cachet à l’exportation et son activité diminuait. Tout doucement, tout le monde a remarqué que c’était assez sérieux et la commune s’est dit : «  c’est peut-être possible ».  Et elle a donné son accord.

Tout le monde, à l’abattoir, avait acheté  une action.

Luc : Après, il y avait des actions de vingt mille? C’était des actions de 1000 francs. Il y avait de coupure de 500 puis, 50 et 20 non?

Carlos :  Il avait peu de gens qui ne pouvaient pas – ou qui ne voulaient pas se permettre 500.000 francs. 

Il y avait beaucoup de gens aux réunions pour organiser la reprise? 

Carlos : Oui. Parfois, on faisait ça à la Paix, s’il y avait assez de place. 

Luc : Chez « Koksje » aussi. Un ancien café. Je me souviens qu’ils changeaient souvent d’endroits.

Mieke : Oui, pour ne pas fâcher la concurrence : il fallait aller une fois là, puis une fois ailleurs. 

Les réunions se passaient seulement dans les cafés?

Carlos : Avant, il y avait toujours une réunion entre une dizaine de personnes, ceux qui « tiraient la charrette ». Lors de celles-ci, on se disait: « tiens, il faudrait pour cette question-là, la poser à tout le monde ». Et on faisait une réunion huit jours après. Et ça marchait bien car ils étaient tous d’accord avec la continuation de l’abattoir. Il faut dire que c’était souvent des gens qui n’avaient que cet emploi-là, que ce commerce-là. Ils achetaient le bétail vivant, faisaient abattre et vendaient les carcasse en quartiers aux bouchers. 


En 1982-83, la jeune société « Abatan » obtient de la commune la reprise via une convention et un bail emphytéotique à condition qu’elle « maintienne et remette aux normes les infrastructures d’abattoir ». Les travaux commencent et le nouvel abattoir répondant aux normes de l’époque est inauguré rapidement. Le marché aux bestiaux «  qui rapportait beaucoup » jusqu’au début des années 2000 a été fermé en 2008 – surtout en raison des  nouvelles normes à respecter et des frais encourus pour les rencontrer. 

Aujourd’hui, elle met toujours à disposition deux lignes d’abattage à deux entreprises : l’une pour les porcs ( SEVA), l’autre pour les bovins, ovins et caprins ( ABACO).

Demain, elle installera les activités « viandes » du site dans une nouvelle infrastructure « La Manufakture Abattoir » répondant et anticipant les normes de l’Agence Fédérale de la sécurité alimentaire (AFSCA) mais aussi en diminuant l’emprise au sol des infrastructures actuelles et libérant de l’espace pour d’autres bâtiments et activités. 

Le site se trouvera, de nouveau, à un tournant de son existence.

 

Sacré manger!

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Les balades de Forum Abattoir reprennent. Dans le cadre de l’exposition « Ik ben anders | Je suis l’autre », nous vous proposons une balade pour découvrir, à travers les devantures des commerces alimentaires, ce qui relie le « ventre » au « sacré » et aux multiples cultures qui habitent et font vivre Cureghem depuis plus de 100 ans.

Le 21/11/17 : départ à 16h du  Curohall (7 rue Rospy-Chaudron, 1070 Anderlecht)

Accessible à tous, participation gratuite mais réservation indispensable

Cette balade vous est proposée dans le cadre de l’exposition, « Je suis l’autre/Ik ben Anders se tiendra du 20/11 – 08/12/17 au Curo-Hall : Durant leurs errances urbaines, six photographes ont capté des images des maisons de culte à Bruxelles, leur environnement et leurs utilisateurs. ‘Ik ben de ander – Je suis l’autre’ présente une image surprenante d’une métropole en pleine évolution, issue de migrations successives.

Sacrifier en ville

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Conférence de Anne-Marie Brisebarre & Hocine Benkheira.

Lundi 4 décembre 2017 – CONFÉRENCE – 18h – Séminaire Caves de Cureghem – 24 rue Ropsy-Chaudron, 1070 Anderlecht. Fléché depuis Métro Clemenceau / Entrée principale dite des « taureaux ».

Entrée libre. Réservation souhaitée : info@forum-abattoir.org

&

Mardi 5 décembre 2017 – ATELIER – 10h – Curohall – 7 rue Ropsy-Chaudron, 1070 Anderlecht.

Gratuit – réservation obligatoire, places limitées, info@forum-abattoir.org

Quelle place pour le sacrifice de l’Ayd al kabîr dans un espace urbain qui cherche à le normer jusqu’à le faire disparaître ?

Hocine Benkheira, directeur d’étude à l’Ecole Pratique des Hautes Études, section des sciences religieuses, a notamment publié  Islâm et interdits alimentaires. Juguler l’animal, 2000, PUF

Anne-Marie Brisebarre, directrice de recherche émérite au CNRS – Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France, « fête du mouton : un sacrifice musulman dans l’espace urbain, CNRS Éditions,   Fêter l’ayd al-kabir : enquêtes comparatives sur un rituel musulman en milieu urbain (France, Maroc, Mauritanie, Sénégal)

Durant de longues années, le site des Abattoirs d’Anderlecht a accueilli l’abattoir temporaire de la commune pour la fête de l’Ayd al kabîr. En 2014, la commune a cessé de l’organiser non pas faute de succès, au contraire… Des travailleurs  ont invoqué un manque de personnel et des motifs sanitaires consécutifs à l’affluence.

Par ailleurs, la législation impose d’abattre les animaux de boucherie avec étourdissement préalable, sauf dérogation pour motif religieux. Depuis deux-trois ans, la Flandre et la Wallonie tentent de supprimer l’exception qui profitait jusqu’alors aux cultes juifs et musulmans.

L’abattage rituel est taxé de pratique « barbare » par les uns, alors que d’autres considèrent qu’une saignée sans étourdissement dans des conditions artisanales est préférable à un abattage avec étourdissement en condition industrielle.  Enfin, le rite est très complexe et comporte des précautions qui pourraient conduire à plus de bien-être animal si elles étaient totalement rencontrées. (voir Vous avez-dit Halal).

Enfin, en août dernier, à quelques jours de la  « fête du mouton », des pratiquants ont ressenti comme stigmatisant la campagne de Gaïa présentant un mouton pleurant une larme de sang, affichée sur de nombreux abribus de la région de Bruxelles. Faute de site d’abattage temporaire, certains parviennent à se fournir dans les abattoirs agréés, d’autres préfèrent les dons financiers, et enfin certains … se débrouillent.

En 1998, Anne-Marie Brisebarre s’interrogeait  « que devient le sacrifice de l’Ayd al kabîr inséré dans une France urbaine ou l’islam se trouve en situation minoritaire et tente de trouver sa place ? (1) » Plus de vingt ans plus tard, cette question a d’autant plus d’acuité dans le contexte actuel et mérite d’être transposée à la situation belge et bruxelloise.

 

  1. Anne-Marie Brisebarre et al., La Fête du mouton. Un sacrifice musulman dans l’espace urbain, 1998, CNRS édition.